Eric R.

Conseillé par (Libraire)
25 mars 2020

"MIROIR DE NOS PEINES" MAIS JOIES DE LECTEUR.


L’eau coule de manière limpide des montagnes. L’écriture de Pierre Lemaitre suit le même chemin. Ou c’est tout comme. A sa manière, l’écrivain nous met au sommet d’une montagne et nous fait dévaler la pente au rythme de ses mots, de ses phrases, à une vitesse vertigineuse mais il nous emmène avec lui, où il veut, comme il veut, pour notre plus grand bonheur. Arrivés en bas, lecteurs, on se regarde tous, le regard lumineux, heureux d’avoir profité ensemble de la dernière goutte d’eau, ou plutôt du dernier mot, de la dernière phrase, avec l’envie de recommencer. Pierre Lemaitre est avant tout un formidable conteur, celui qu’on aimerait écouter le soir à la veillée. Plus personne ne l’ignore désormais, lui qui avec son prix Goncourt pour « Au revoir là-haut » explosa les ventes de romans. Il avait annoncé alors que ce roman primé était le premier opus d’une trilogie de l’entre deux guerres et il tient parole en clôturant ce troisième épisode concentré du 6 avril 1940 au 13 juin 1940.

Pour débuter un bon roman il faut une belle entrée en matière et en faisant déambuler une femme nue ensanglantée dans les rues de Paris, tenant des propos incohérents, le conteur attire de suite l’attention. Mais un bon début ne suffit pas. Il faut tenir la distance, on dit même « tenir la route »: alors ce sera celle de l’exode, celle des populations quittant la capitale où les allemands arrivent, pour Orléans, la Loire, lieux mythiques, barrières psychologiques, où tous en sont persuadés, la guerre s’arrêtera. Parmi ces femmes et ces hommes, qui emportent un buffet Henri IV sur une charrette à bras ou des matelas invariablement posés sur le toit de véhicules en quête de carburant, roulent crapahutent nos personnages découverts à Paris, avant le grand départ. Il y’ a Louise, la jeune femme nue du début, qui va découvrir les secrets de sa mère. Il y’a Désiré , un jour chirurgien, un jour membre de la cellule ministérielle de l’Information, un jour curé. Et puis, Raoul, infect et attachant. Et Jules, un cafetier, réactionnaire aux charentaises usés mais empli d’amour. Et Gabriel, sous officier un peu coincé mais tellement humain. Et Alice et Fernand, brutalement richissimes. Des portraits formidables de personnes dont les destins vont se croiser et se conclure sur ces routes où les avions allemands pilonnent ces fleuves de civils à la dérive. Destins d’individus entremêlés avec la grande Histoire, Pierre Lemaitre s’appuyant sur une solide documentation, entrecroise ainsi des faits réels étonnants et souvent méconnus aux méandres de sa propre imagination.

Rarement, on a eu autant envie de tourner les pages pour connaître la suite, à la manière de ses feuilletons quotidiens, qui vous font attendre le lendemain avec impatience. Dans des circonstances historiques dramatiques, la plume se fait souvent plus légère, plus tendre et plus humoristique qu’au cours des deux précédents tomes. C’est qu’on les voit ces personnages, on les a devant nos yeux et on imagine facilement leur concrétisation sur grand écran ou sur une page blanche dessinée. Mais il faudra du talent au réalisateur ou au dessinateur pour rendre cette dimension humaine et ne pas trahir ces personnages, même si l’on se dit que Pascal Rabate avec sa Bd « La Déconfiture » a déjà, sans le savoir, bien défriché le sujet.
Sans dessin, Pierre Lemaitre nous montre, dans des pages magnifiques, ces colonnes perdues sur les routes, ces vies en parenthèses, guettant le ciel et ses dangers, ces personnages secondaires, qui le temps de quelques secondes, de quelques lignes, transforment peur immédiate en moments d’histoire. Générosité, turpitude, lâcheté, dans ces moments uniques surgissent toutes les facettes de l’âme humaine, ni totalement noire, ni totalement blanche mais entourée cette fois ci d’un humour salvateur.

Et Pierre Lemaitre sait narrer, inventer. Il sait même nous demander de nous éloigner pour laisser Alice et Raoul se rencontrer car comme il l’écrit « nous connaissons l’histoire », et c’est un formidable privilège.

Le lecteur n’a pas envie que cela s’arrête. Jamais. Illusion que Pierre Lemaitre interrompt sous forme d’un épilogue où il brosse à grands traits le futur de ses personnages. Son talent est tel qu’en quelques lignes il trace dix, vingt ans ou plus, de vies dont on aimerait qu’il nous en raconte le détail. Jules, par exemple, Jules ce gros monsieur à la grosse moustache, au gros ventre, au gros coeur, dîtes nous Pierre Lemaitre, il va …. Je vous en prie, racontez nous, la suite!!! Nous serons sages.

Franck Garcia

Editions Ellipses

Conseillé par (Libraire)
20 mars 2020

"Les Incas" qui .... n'existaient pas.

Si vous pensez que « les Incas » sont une coalition de diverses civilisations formées vers le 11ème siècle, qui s’est agrandie géographiquement pour atteindre son apogée et former un Empire détruit par l’arrivée des espagnols en 1532, il va falloir biffer tous les termes de ce que vous pensez être vos connaissances. Les Incas n’ont jamais existé car il n’y eut qu’un Inca, « l’Inca », celui à la tête d’un vaste territoire essentiellement côtier du nord de la Colombie actuelle au sud de l’Argentine. D’empire, il n’y en eut point, ce vocable issu d’une pensée politique européenne et rappelant l’organisation romaine, ne correspond pas à l’organisation pré hispanique. L’Etat inca s’appelle le Tahuantinsuyu, les « quatre parties réunies », le chiffre quatre étant omniprésent, et ne ressemble en rien à nos modèles politiques connus. Ces bases établies, il va falloir éviter ensuite les écueils d’une interprétation a posteriori. Se méfier des chroniques espagnoles à la gloire des conquistadores apportant la civilisation à des sauvages mais aussi des réappropriations indigènes à partir des mouvements d’indépendance de la moitié du 19 ème siècle. Ces mouvements post coloniaux visaient à faire des civilisations incas les prémices d’une société socialiste égalitaire. Il faut tout remettre à plat en oubliant nos « connaissances » très vite périmées sous l’assaut de nouvelles investigations, encore partielles mais en progrès constants.

Par contre, si vous ne savez rien des Incas, alors vous allez pouvoir comprendre le processus de conquête espagnole, les difficultés de son établissement et surtout approcher véritablement la pensée, l’organisation politique de cette civilisation ancrée, contrairement à ce que pensaient les envahisseurs, dans un passé réel et inventé où les mythes eurent une place fondamentale. Plus exactement un triptyque mythique avec d’abord un socle commun aux civilisations andines, Viracocha, force créatrice imparfaite. Ensuite pour justifier la suprématie des habitants de Cuzco, les frères Ayar, à l’origine selon le mythe, de la dynastie des Incas et qui rapprochèrent le pouvoir de la ville, et enfin l’Inca majeur, Pachacutec, placé dans une perspective cosmique. Ce dernier, prit une place primordiale au sein des Incas qui se succédèrent au pouvoir, chef pivot auquel se rattachèrent de nombreuses valeurs dynastiques.Trois socles fondateurs pour la compréhension de ce monde.

S’appuyant sur les recherches archéologiques, scientifiques les plus récentes, cet ouvrage de synthèse se montre aussi passionnant lorsqu’il évoque les conditions de vie des marins sur les bateaux espagnols que le mode de vie des habitants de Cuzco. Il recherche dans les récits non écrits, mythiques, la construction d’une perception de l’univers avec une mission sacrée, éloignée des modes de pensées européennes: organiser l’espace et le temps.

Ce livre érudit mais d’une lecture aisée a le mérite de rendre compréhensible une histoire presque toujours caricaturée et complexe. Franck Garcia, docteur en archéologie à la Sorbonne, ne fait pas dans son ouvrage de la vulgarisation, mais tout en gardant une remarquable rigueur scientifique, il permet aux non-spécialistes de mieux comprendre cette civilisation égale des plus grandes, réduite trop souvent à des images conventionnelles d’adoration du Soleil et de sacrifices. Et qui fut aussi détruite par la mortalité de 90 % de ses habitants, non immunisés contre les maladies apportées par les espagnols. Comme un rappel que l’histoire se répète éternellement.

Eric

La Boîte à Bulles

Conseillé par (Libraire)
14 mars 2020

Vagues à l'âme... mais chaud au coeur.

Les yeux émerveillés d’un enfant pour un grand père boucher dans la Marine, c’est ce que raconte cette BD toute en douceur et tendresse. Une vie ordinaire d’un homme peu ordinaire. Racontée et dessinée avec sensibilité.

C’est un peu comme si on ouvrait une boîte à chaussures pour découvrir et raconter l’histoire de photos sépia. Des photos de famille. Sur l’une d’elles, trois hommes, cigarettes à la bouche, le regard fier et la gouaille insouciante de ceux qui ont la vie devant eux. Ils ont la tenue de marins des années trente. Il est écrit au dos « Quand on est marin, on ne s’en fout pas un brin ». Au centre, celui qui tient par les épaules ses deux amis, s ‘appelle Adolphe Hérault. Il est le grand père de Grégory Mardon, l’auteur de cette BD. Il a cette photo, le dessinateur, mais il n’a pas que cela, car il l’a connu ce grand-père et écouté religieusement pendant les premières années de sa vie: « j’avais 16 ans quand je le vis sur son lit de mort, je regrette à présent d’avoir dû garder cette dernière image en souvenir ».

Alors comme pour exorciser cette vision, il le fait revivre sous la mine de son crayon. Pas de couleurs, de gouaches ou d’aquarelle mais des nuances de gris et de noir qui vont si bien à une vie, après tout, assez ordinaire dans son déroulement peu ordinaire. C’est que ce n’est pas un héros cet aïeul et pourtant à sa manière il ne mena pas la vie de Monsieur Toutlemonde. Adolphe, dit « Dodo » travaille dans une boucherie à Douai mais il se dit très vite « qu’il ne passera pas son existence ici ». Alors il s’engage dans la Marine Nationale pour se retrouver à bord à … la boucherie. Commencent alors des récits de voyage riches d’amitié, de découvertes comme ces pyramides «  des terrils en pierre de taille », de bagarres et d’amour. C’est qu’il est un peu caïd Dodo, un peu sportif, un peu désobéissant et il se retrouve souvent aux fers en fond de cale. Une forte tête qui préfère les poings aux bons-points.

Ces histoires, il les a souvent racontées à son petit fils, les a sûrement enjolivées mais dans l’esprit de l’enfant elles devinrent épopée, mythe familial, suscitant l’imagination du petit Grégory quand son grand père vient chez lui à Arras. Le talent de Grégory Mardon devenu dessinateur, scénariste de Bd et adulte, est de traduire avec une grande justesse de ton cette admiration devant des histoires qui devinrent des légendes.
Le dessin est d’une douceur infinie quand il s’agit d’évoquer l’amour de Dodo pour sa femme et ses enfants. Il capte le passage du temps et les dernières pages de Adolphe en retraite, aimant toujours Carmen et devenant turfiste, avant de succomber à la maladie sont magnifiques. Jusqu’à ce pied de nez de Dodo qui mourut dans une petite chambre à l’étage créant un beau « bordel pour l’amener au cercueil qui ne pouvait passer nulle part ». Tendresse, humour, mélancolie, un joli cocktail auquel le noir et blanc va si bien, écartant tout exotisme ou tape à l’oeil.
A sa manière, cette BD nous donne envie d’aller voir à notre tour la boîte à chaussures dans le bas de l’armoire, pour y rechercher trace de notre passé, qu’il soit couleur sépia ou en couleurs. Et d’y retrouver peut être l’image d’un grand père ou d’une grand mère, image qui s’efface à la vitesse vertigineuse de l’oubli.

Eric

D'après le roman d'émile zola

Les Arènes

Conseillé par (Libraire)
10 mars 2020

Tambouille médiocre des familles

Dans une magnifique adaptation du roman « Pot-Bouille » d’Emile Zola, Stalner et Simon redonnent vie à une histoire intemporelle d’ascension sociale espérée. A n’importe quel prix.

Avec cet excellent "Pot-Bouille" Eric Stalner et Cédric Simon, qui avaient déjà adapté le roman « La Curée » utilisent toutes les ressources de leur art pour dépoussiérer une oeuvre publiée originellement en 1882.
Bien entendu ils restent fidèles au roman, véritable manuel du parfait arriviste dans le Paris qui se transforme sous l’impulsion et les directives d’Hausmann. Alors que les riches se retrouvent dans de nouveaux quartiers sélectionnés, Octave Mouret, 22 ans, débarque dans la capitale, bourré d’ambition et de cynisme. Accueilli chez des amis, dans un de ces nouveaux immeubles « bourgeois », il va loger juste en dessous des chambres des domestiques. Sa volonté va être de vouloir descendre les étages, dans une hiérarchie sociale inversée. Le but à atteindre: le rez de chaussée où trône le magasin de « soieries et nouveautés Vabre « .

Il y’a le haut et le bas mais aussi le devant et le derrière. Devant, une façade belle, propre, distinguée. Comme sur la magnifique couverture, les fenêtres brillent de mille feux. On donne à voir une image respectable, brillante, dorée. Derrière, des intérieurs cyniques, marqués par l’hypocrisie, la veulerie, les coucheries. Car plus que l’argent c’est le sexe qui anime ce « joli » monde corseté, où les redingotes du meilleur tissu côtoient les imposantes robes à crinoline. Zola avait décrit un univers féroce et violent. Les auteurs de la Bd avec beaucoup de talent, insistent sur cette violence tamisée par les bonne manières. Les femmes minaudent lors des soirées mondaines mais leurs visages se transforment en portraits monstrueux et vitupérants, une fois les lumières éteintes. Les hommes aux rouflaquettes et aux barbiches si soignées, le petit doigt en l’air, se vautrent et vomissent sur le tapis des bordels quand la nuit arrive. Les dessins de Stalner qui n’hésitent pas, comme en zoomant, à grossir les traits, font merveille. L’ignominie est dans les bouches déformées de haine, comme dans celle de l’oncle Narcisse Bachelard, dont chaque apparition donne la nausée. Le cynisme est dans les regards sournois magnifiquement suggérés, comme dans celui de Mouret dont on devine dès la première page l’hypocrisie séduisante.
Grâce au talent des auteurs, la Bd et son vocabulaire graphique enrichissent le texte de Zola. Si les portraits physiques sont superbes de réalisme et d’horreur, une trouvaille remarquable dès le début de l’album agrémente la lecture. Chaque logement se voit attribuer un code couleur qui accompagne les habitants. Le doré colorie ainsi le commerce du rez de chaussée alors que le marron terne illustre les logements des domestiques sous les toits, et que le mauve s’accorde aux Josserand. Le sens de lecture est aussi parfois modifié et inversé, comme lorsque les « bonnes » racontent les ragots de l’immeuble. On monte, on descend, au gré des phylactères, tels les commérages ou la hiérarchie sociale, dans la cour intérieure. 

Avec ses mots, Zola établissait une description féroce de son temps. Avec les dessins, Stalner et Simon accroissent cette férocité et mettent au goût du jour une oeuvre qui surpasse le temps. L’hypocrisie du vernis social n’a pas d’âge.

Eric

Autobiographie d'un immeuble

Seuil

23,00
Conseillé par (Libraire)
9 mars 2020

Quand les murs parlent

Faisant suite à un film présenté sur Arte en 2018, Ruth Zylberman retrace dans ce livre les vies passées et actuelles des habitants d’un immeuble du X ème arrondissement de Paris. Un ouvrage émouvant, magnifique qui redonne vie à ces « gens de peu » qui font l’Histoire.

Les déportés disparaissent, menacés par l’âge et le temps qui passe. Ruth Zylberman écrit à la fin de son ouvrage que « leurs défaillances, la perspective de leur disparition sonne au-delà de la peine, comme une possible, quoique inéluctable, défaite face au mal ». Alors que la réalité de la Shoah est de plus en plus mise à mal ou minorée, recueillir ces voix parait être un acte d’urgence. A lire « 209 rue Saint-Maur », on se dit pourtant que dans un siècle ou deux, il y’aura bien encore des écrivains, des historiens, des chercheurs, capables de restituer la réalité d’aujourd’hui, et d’éviter cette « défaite ». C’est le cas de l’autrice, écrivaine, cinéaste, qui dans cette « autobiographie d’un immeuble », débutant lors de sa construction au milieu du XIX ème siècle et s’achèvant en 2018, raconte la vie de femmes et d’hommes, de Communards et d’émigrés de l’Est des années trente, de juifs raflés et de victimes des attentats du 13 novembre 2015. Les histoires de Odette, Albert, Daniel, Henry, Charles, Marguerite, Simone et de beaucoup d’autres. Un peu comme si les murs avaient des oreilles et avaient pu enregistrer ces histoires intimes, de mariages et de dénonciations, d‘adultères et de résistance, de vies et de souffrances d’individus dont l’histoire intime côtoie la grande Histoire.

Tout a commencé par une carte établie par Serge Klarsfeld et un géographe lyonnais qui ont tracé une carte des enfants déportés de Paris entre 1942 et 1944. Au 209 rue Saint-Maur, neuf points rouges pour neuf enfants. Le point de départ pour l’auteure à qui chaque immeuble représente « une terre natale », un « peuple vivant ». Débute alors un long travail de quatre années où les recherches historiques jouxtent les recherches de survivants directs ou indirects. Quatre années pour faire parler ces quatre bâtiments où se sont entassées dans des conditions précaires des générations d’ouvriers, d’artisans, de migrants, de pauvres.
A la manière de la coupe d’une maison de poupées Ruth Zylberman dessine des cases, leur donne des meubles, des surfaces et peu à peu les remplit de silhouettes, de professions, d’engagements politiques. De noms et de prénoms.
Si je suis avide de les entendre, ces voix, ce n’est pas pour accomplir un abstrait “devoir” de mémoire, l’expression seule me hérisse, ni afin d’élucider une énigme familiale. ».

Elle veille ainsi à ne pas combler les vides de propos ou de situations possibles ou imaginées à l’aune de notre temps. Pas de sanctuarisation mais une distance volontaire même si l’émotion affleure souvent, cette émotion d’autant plus perceptible que Ruth Zylberman est elle même petite-fille de Polonais immigrés dans les années 1930, dont une partie de la famille a été déportée en 1944.

Ce livre qui remonte le temps bien au delà de l’Occupation et de ce mois crucial de Juillet 42 quand se déroule la rafle du Vel d’Hiv, raconte aussi l’histoire de l’immeuble comme une vie ininterrompue, avec sa propre énergie, ses propres maladies, ses cahots, ses malheurs et ses bonheurs. Tout manichéisme est écarté à l’image de la famille Dinanceau dont le fils s’est engagé dans la LVF alors que le père, pourtant fidèle à Pétain, protège lui aussi les enfants juifs et les cache dans son logement. Une complexité qui renvoie souvent à cette question: qu’aurais je fait à cette époque, au moment des barricades de la Commune? Au moment des rafles et des dénonciations?

Ruth Zylberman fait une oeuvre salutaire même si il y’a la crainte de remuer le malheur, d’intervenir dans la vie de personnes qui comme Henry, parti aux états Unis, veulent tout oublier, ne pas revoir, ne pas penser. Henry, qui finalement traversera l’Atlantique et se demandera devant l’immeuble : « Vous savez, vous, si mes parents ont été heureux ici ? », question terrible et universelle qui renvoie à tous nos lieux de vie et de mémoire.

En écoutant les pierres nous raconter l’Histoire, l’autrice incite les Hommes à ne jamais oublier les leçons du passé pour que puissent se côtoyer les morts et les vivants.

Eric