Mitchum l integrale

Blutch

Cornélius

  • Conseillé par
    13 juillet 2010

    Mitchum, à cause de l’acteur. Il apparaît à plusieurs reprises, une fois sous les traits du pasteurs aux mains tatouées, peu après en tortionnaire impassible. Il prête ses traits polymorphes à un écho cauchemardesque qui traverse les âges, se métamorphosant en vieillard puis rajeunissant, toujours malfaisant, toujours neutre.

    Il est suivi par un James Stewart croulant, fantôme pathétique, reflux libidineux vomi par une autre époque, profitant de l’inertie de la gloire pour s’échouer définitivement. Plus loin on croise Steeve McQueen et Charlton Helston, momifiés dans leurs sarcophages ouverts, sagement alignés au bord d’une rivière. Mitchum est un vestige happé par un médium qui n’est pas le sien, ambassadeur maléfique d’un art essoufflé, il devient une figure malléable, présentant tour à tour différentes facettes façonnées par la superposition de rôles qui ont forgé l’icône. Tout l’enjeu est de saisir le reflet d’une idole, le capter dans un prisme nouveau, la bd, pour le confronter à ses propres créations, le distordre et l’incruster dans son propre mythe. Mitchum est alors un modèle parmi d’autre, le modèle de Blutch, qui pose aux côtés des modèles de ses propres personnages, eux même écho de sa vocation artistique. Le motif au centre de Mitchum est l’opposition récurrente entre l’artiste et son modèle, objets de fascination, fantasmes amoureux ou victimes récalcitrantes laissées exsangues par le pinceau. L’histoire la plus classique en terme de narration met en scène une poignée de jeunes parisiens qui se quittent, se trompent, s’envient, posent et dessinent. Sur la toile de fond de ces amitiés tournant aux aventures et des heurts domestiques encore feutrés par l’incertitude des sentiments, Blutch convoque le sceptre de Matisse face à son propre avatar, qui peine à se hisser vers le maître, pour parler de la hantise de l’échec, de la recherche de soi dans l’art, du doute. Réglé rageusement, par le personnage d’abord, puis par Blutch qui s’est finalement émancipé de la figure douloureuse de l’artiste en herbe. Mitchum essaime des figures incarnant l’ordre, ou du moins une forme de stabilité morale ou sociale, bonne ou mauvaise peu importe, on croise des flics suspicieux, des inspecteurs louchent, des silhouettes martiales lors d’un passage au Mexique ou une chasseuse de prime revancharde. Cet ordre brouillé est mis à mal par l’imaginaire foisonnant de Blutch, l’auteur installe ce cadre conventionnel où chaque genre scande son propre rythme, du western au policier bien noir, cadre propice à la création car d’un réalisme inhérent au genre, mais toujours à la lisière de l’imaginaire par l’effacement des frontières morales qu’il permet et qui engendre l’angoisse, terreau idéal pour s’échapper du réel par la porte du devant, la plus évidente, le rêve, ici le cauchemar. Blutch peut alors tout à son aise injecter une dose d’entropie dans ce monde bien réglé tiré de la naphtaline. Il ne doute plus, il crée librement à grand coup d’effroi, de visions affolées ou faussement paisibles. Il alterne les outils, le style tantôt ample et délié, plus loin sec avec la rugueuse précision d’une gravure, participe activement à la narration en évoluant dans une même histoire, le plus bluffant étant de voire cohabiter différents styles sur une même planche, superposant les trames, mêlant deux récits. Le tout est d’une cohérence étourdissante, les histoires se suivent, s’imbriquent et se répondent à rebours, traçant un canevas impossible à résumer et qui pourtant crée une unité parfaite.